L’épuisable et l’inépuisable par Philippe Meirieu
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Un principe fonde l’écologie politique : prendre soin du monde et de ses habitants. De là, une multitude de combats : contre le pillage de nos richesses matérielles, pour les droits humains et la justice, en faveur d’un nouveau modèle de développement, national et international. Ainsi deux questions structurent solidairement notre projet : celle de l’irréversibilité des dégâts que nous faisons subir à la planète et celle de notre capacité à mobiliser l’intelligence des humains pour qu’ils puissent construire ensemble un monde habitable et solidaire. Deux objets de travail et de lutte doivent donc nous occuper prioritairement : l’énergie et l’éducation. L’épuisable et l’inépuisable.
Or, autant la parole des écologistes est forte sur la question de la transition énergétique, autant c’est un filet de voix sur celle de la transition éducative… Pourtant, la sobriété énergétique que nous appelons de nos vœux ne sera « heureuse » que si nous sommes capables d’offrir, en lieu et place de la frénésie consommatrice à laquelle se livrent les privilégiés et à laquelle aspirent les exclus, de nouvelles satisfactions : dans le partage des savoirs, la création culturelle et le débat démocratique. Or, tout cela n’est possible qu’en faisant de l’éducation au sens large – éducation scolaire, sociale et familiale, formation initiale et continue, culture et éducation populaire – une priorité.
Alors qu’une réunion de crise est convoquée « au pus haut niveau » lorsque la ministre de l’écologie est limogée, on raye de la liste le ministère de la formation professionnelle sans que cela semble nous émouvoir… quoique chacun admette, mezza voce, que la formation professionnelle bien est une condition indispensable de la transition écologique ! Dans le même temps, nous approuvons une loi sur « la refondation de l’école » qui, malgré le travail de nos parlementaires, reste largement discutable : à travers la question des rythmes scolaires, on y ouvre subrepticement la porte à l’externalisation de l’éducation artistique, culturelle et sportive ; on prend le risque d’accroître les écarts entre les territoires ; on sacrifie l’intérêt de l’enfant au confort des adultes ; on se résigne à l’hégémonie d’une évaluation quantitative absurde ; on brade, sous le poids des lobbys, l’indispensable formation pédagogique des enseignants… Et, même si nos élus locaux font un travail remarquable sur la culture, nous n’abordons presque jamais, au plan national, cette question. Quitte à laisser penser que nous baissons les bras devant l’inflation publicitaire, l’exaltation de la pulsion consommatrice, le pouvoir de la télécratie, la totémisation des prothèses technologiques, la prolétarisation des travailleurs de l’éducatif, du culturel et du social par les tableaux Excel, l’hégémonie d’une médecine où l’humain, coupé de tout écosystème, n’est plus qu’une machine à réparer pour le plus grand profit des industries pharmaceutiques et des « thérapies comportementales » de dressage…
J’ai fait un rêve : que l’écologie politique marche sur deux pieds et consacre autant d’efforts à promouvoir l’inépuisable qu’à se battre – légitimement – contre le gaspillage de l’épuisable.

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